Constellations

2023. Elle a pris ses bonnes résolutions, la femme aux longs cheveux noirs. Faire plus de sport, manger bien. Lire plus. Ne plus se laisser emporter par ses émotions. Elle sait que ce ne sera qu’un feu de paille alimenté par l’énergie du début de l’année. Mais soit, elle les met sur papier pour les ancrer quelque part.

Ne plus se laisser emporter par ses émotions. Comment tenir la décision quand sous sa chevelure onyx, c’est une véritable caisse de résonance qu’elle abrite. D’une sensibilité Flaubertienne, tout ce qui ne devrait que l’effleurer la déchire.

Qui dit projection, dit souvent rétrospective. Elle jette un œil sur toutes les rencontres qui ont peuplé son année :

Les improbables. 

Celles d’une nuit.

Les légères. Les intenses.

Celles qui ont pris de la valeur au fil du temps.

Celles dont elle aurait voulu qu’elles soit plus qu’une rencontre mais qui ont été emportées par le tourbillon de la vie qui te surprend. 

Et puis il y a toutes ces personnes qu’elle a oubliées.

Mais oublie-t-on jamais vraiment?

Maël Bächtold

Un paysage, un objet, une situation, un lieu, une pierre, un film, une chanson. Tout peut réactiver un souvenir. Telle une constellation éteinte en nous, qui se rallume et brille en pressant un seul bouton sensible.

Finalement, de quoi sommes-nous faites? Des trésors (empoisonnés ou non) que nos parents nous ont transmis. Des rires et des bagarres avec nos frères et sœurs. Des amitiés construites dans l’enfance ou l’adolescence. Des relations amoureuses où l’on s’est abandonnées, livrées, oubliant le bouclier salvateur, novices que nous étions. Des rencontres plus abstraites aussi, une ville, une odeur, un son. Tout est imprimé dans chaque millimètre carré de notre peau et fait ce que nous sommes. Et, chaque fois qu’un élément nous rappelle ces souvenirs, un frisson nous parcourt inconsciemment le corps.

Un jour de pluie en montant dans le train, notre grande noiraude aperçoit un livre, certainement oublié par une voyageuse. Le titre, “De coeur inconnu” titille furieusement sa curiosité. Elle l’ouvre. C’est un récit autobiographique. Elle feuillette les pages et s’arrête net sur des mots qui vont l’habiter pendant longtemps:

“Moi, je ne « tourne pas les pages », je déteste cette expression simpliste, je n’oublie rien, je ne zappe pas, je ne renouvelle pas ma vie comme si rien avant n’avait existé. Elle est un fil continu que je tisse, je ne gomme personne, je suis faite de tous mes souvenirs, de mes amours, je suis un patchwork vivant de moments de vie, je suis faite des autres, pour les autres, et chacun m’a construite ou meurtrie. Je ne tourne pas les pages, je les écris.”

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J’ai retrouvé sans peine l’endroit de nos haltes, tant il demeure inscrit au plus profond de ma mémoire. Je crois que je pourrais fermer les yeux et, sans même tâtonner, m’y diriger tout droit.

Raphaël Aubert, Sous les arbres et au bord du fleuve & autres récits. 2021.

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