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Tu es apparu dans ma vie comme un pont et tu sais, j’ai toujours aimé les ponts. Ceux qui font le lien et qui enjambent les frontières. Ceux qui nous rapprochent , qui nous mettent ensemble. Alors : : je ne pouvais que tomber en amour. J’avais déjà une belle relation avec le tiret cadratin qui venait mettre des respirations entre mes mots quand moi-même je n’arrivais plus bien respirer. Il a été mon gourou un bon moment et tu sais, je continue de le fréquenter ; beaucoup — je n’ai jamais tellement cru aux histoires d’amour exclusives. 

Il disait : « François » — je m’appelais François à l’époque mais ça aussi tu l’as changé — « François, respire. C’est pas grave. Mets du temps dans ta phrase. Mets du temps dans ta vie. Tu n’es pas si pressé. Prends le temps, arrête de courir, oublie l’impatience. » Il me semblait qu’il était là. Là quelque part entre la parenthèse, le point final et les suspensions. Comme suspendu en l’air en attendant que le miracle arrive. Et il est arrivé le miracle. Le mien en tout cas. L’épiphanie qui allait changer la donne. 

Le miracle c’était toi, toi qui es apparu dans ma vie comme un pont un pont entre moi et moi-même quand même écrire était devenu compliqué quand je ne me reconnaissais plus dans les mots quand je ne pouvais plus me reconnaitre dans aucun des mots de la langue qui m’avait suivi depuis ma petite enfance quand chaque fin de mot devenait si ce n’est une agression au moins un inconfort extrême un étau dans le cœur dans le corps et dans le genre comme si la langue celle qui m’avait précédé depuis ma petite enfance ne faisait plus sens pour moi ne pouvait plus faire sens pour moi parce qu’elle ne me disait pas elle m’empêchait — d’être. 

Tu es arrivé. Tu m’as dit : « Fran‧ respire un bon coup comme le cadratin te l’a appris. Respire. Reprends-toi. Ajoute une chose ou deux à ta proposition. Prends le temps. Tu n’es pas si pressé‧e, pas si pressé‧e. Respire. Respire, je suis là maintenant, tu peux mettre un point, tu peux créer des ponts qui rassemblent, qui te rassemblent, qui te ressemblent. Je suis là. Respire. Tu n’es pas si pressé‧e. » Tu étais là. Tu te tenais entre ces deux [e], entre mes deux [e], tu m’avais baptisé‧e et j’avais enfin, enfin l’impression d’exister. Quelque part. 

S’en est suivi une idylle des plus belles

— pshiiiiiiiii —

un bonheur intense 

— pshiiiiiiiii —

une impression de vivre vraiment 

— pshiiiiiiiii — 

une limonade fraîche dans un été éternel 

— pshiiiiiiiiii ———————————————— 

Il y en a bien eu quelques-uns qui essaient de nous séparer — chuuuuuuut — de te dire illisible — chuuuuuuut — incompréhensible — chuuuuuuut — ou même destructeur‧ices de la langue française 

mais ta gueule à la fin !

Alors on les laisse parler, les esprits chagrins, se morfondre dans des problèmes qui n’en sont pas pendant que le reste du monde continue d’avancer vers plus de célébrations de chacun‧e, vers les ponts qui se créent, les interstices qui se remplissent des milliers de bruissements anonymes de toustes celleux que la langue, pendant des siècles et des siècles amen, n’a pas su dire. On continue notre chemin et notre histoire au milieu de ce joyeux bordel, au milieu de nos victoires et de nos défaites, au milieu de mes incertitudes que tu viens m’aider à dépasser. 

Tu es venu ponctuer tous mes textes, mes cartes de vœux, mes textos — même ceux pour ma mère, même ceux pour le boulot parce que c’est devenu la seule façon d’être moi pour moi. Tu es devenu une partie de moi, intégrée, tu n’étais plus ni une erreur, ni une exception. Tu es devenu ma carte en même temps que mon chemin. Tu es devenu moi, inséparable.



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J’ai retrouvé sans peine l’endroit de nos haltes, tant il demeure inscrit au plus profond de ma mémoire. Je crois que je pourrais fermer les yeux et, sans même tâtonner, m’y diriger tout droit.

Raphaël Aubert, Sous les arbres et au bord du fleuve & autres récits. 2021.

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