fulgurances de joie

Un saut, la poudre gicle. Des flocons retombent sur ton visage, l’arrosent de légèreté. L’aube est à quelques minutes de nous. La première neige recouvre le terrain de basket de la cour du collège déserte, les cristaux éternels de tes yeux scintillent dans les rayons des lampadaires. Nous sautons encore et encore, ivres d’enfance, libres.

L’espace commun, même restreint, nous appartient, aujourd’hui nous le vivons et l’habitons à notre guise, sans limites ni raisons. Peu importe la force des étoiles et de la lune dans le ciel, ton regard luit au sol en cette première nuit d’hiver. Une couche de neige éphémère embrasse tes rides profondes puis éclate en fines gouttelettes éclairées.

Tu fais l’ange sous le panier. Je dessine pas à pas un immense coeur dans le manteau immaculé au centre du terrain. Comme ça, les gens, demain matin, en amenant leurs enfants, le verront. S’aimeront peut-être plus. Dessineront peut-être leurs symboles de liberté. Je cours vers toi, te saute dessus. L’ange s’envole en milliers de scintillements glacés.

Nos rires écument dans l’océan poudreux, loin des rages quotidiennes; ils nettoient les impuretés de la veille. Tu me savonnes le visage, j’avale la neige, étouffe presque pour un temps puis recrache une molasse gelée. Nous éclatons de rire. Ton nez rougit, tes pommettes se creusent et tu reviens à la charge.

Matylda Florez

Aucune voiture ne circule sur la route du village. Le silence. Seuls nos ébats enfantins glissent sur le verglas vers le quartier en contrebas, léger écho dans la rue entre les premières fenêtres qui s’allument. C’est le moment de la bataille de boules de neige!

L’ivresse naît dans l’allégresse de la folie. Nous achevons à peine notre bataille candide que voilà les oiseaux qui se réveillent. Nos doigts sont endoloris, recouverts d’un fil de givre, nous sommes détrempées.

Un premier bus passe. Vite, vite ! Construisons encore une dame de neige. Aucun mot échangé, nous poussons chacune une boule blanche sous des nuages déjà légèrement rosés. Tu t’occupes du corps, l’installe devant l’entrée du collège. J’ajoute la tête. Sourires de larrons, rires discrets. 

Je dépose encore mon bonnet. Tu dessines un petit coeur. Je m’occupe des yeux et plante un bout de bois pour le nez. Tu me pousses encore une fois. Je te tire avec moi. La neige éclabousse devant les escaliers de l’école. Nous partons, heureuses.

Plus loin, je te pousse. Tu t’accroches à mon écharpe. L’une sur l’autre, congelées mais brûlantes, nous nous libérons une dernière fois. Retournons à l’état sauvage, remplissons l’espace originel.

0 comments
0 likes
Prev post: La tête sur terre, les pieds dans les étoilesNext post: Rien n’est constant, si ce n’est le changement

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

J’ai retrouvé sans peine l’endroit de nos haltes, tant il demeure inscrit au plus profond de ma mémoire. Je crois que je pourrais fermer les yeux et, sans même tâtonner, m’y diriger tout droit.

Raphaël Aubert, Sous les arbres et au bord du fleuve & autres récits. 2021.

Inscription à la e-lettre