Un trop plein

« Tu ne crois pas que ça serait meilleur… », « Moi je pense que tu.. », « Il suffit de… ». Trop. Trop trop trop trop trop trop trop trop trop trop trop trop trop trop trop trop trop trop. Trop trop trop trop trop trop. Trop. 

Fanny Blanchet

C’est à peu près toujours pareil. Elle se réveille et allume la radio. Puis, elle se lève, rapidement : il ne faut pas laisser trop de temps à la pensée. Elle ouvre la fenêtre de la chambre. Sous la douche — aussi rapidement : il ne faut pas se distraire du but.

Elle est fatiguée, découragée ; elle est décidée.

« Ton problème c’est que… ». Trop. Trop. Trop de paroles vides, lues et répétées sur un ton de soutien ; trop de prétendues leçons pour masquer l’absence d’accompagnement. Elle augmente le volume de la radio. Il faut contrer l’arrivée des pensées.

Elle fait chauffer de l’eau et, pendant ce temps, ouvre grand la fenêtre du salon, coupe une pomme et lave du raisin dont elle mange la moitié avant de le placer sur son assiette — elle évite d’y penser. Elle pose l’assiette sur la table et s’assied sur sa chaise. Elle avait oublié l’eau chaude pour son thé sur le plan de travail, comme à son habitude. Elle se lève à nouveau, prépare sa tasse et l’emporte avec elle. 

Trois minutes sont passées et elle a terminé son petit-déjeuner. Elle lave ses plats, se brosse les dents, s’habille, prépare ses affaires et est prête pour sortir. Où ? Elle ne sait pas. Elle pourrait travailler à la maison, dans le calme. « Tu devrais… », « Tu pourrais… ». A partir de maintenant, elle écrira dehors.

Les jours passent. Elle se promène et écrit une phrase sur son livret. Plus tard, une autre phrase. Elle s’assied dans un café et elle développe un texte, qui finalement l’amène à une seconde phrase indépendante : une autre inspiration. Elle repart, remarche, écoute sa musique et s’inspire du spectacle que créent les feuilles automnales sous le doux vent, comme bercées par la musique et des pensées saines, rythmées par la marche. Débordante, débordante d’inspiration. Quelle joie, pense-t-elle.

Fausse joie.

Avant, c’était l’absence, le vide, la faim du quelque chose. C’était le blanc sur vision noire, le néant, « Non, mais ça c’était avant ». Et maintenant ? C’est l’absence de vide. La prolifération, l’encre et les pensées qui défilent, l’impossibilité de tout capter. C’était un premier soulagement, un enfin quelque chose… mais c’est en fait un trop, sur un tas de trop muets ; une fatigue, paralysant la plume et mobilisant l’anxiété…

…car la coupe est pleine et il faut du temps, de l’espace, du silence. Du temps, de l’espace, du silence. Du silence, silence, de l’espace, et du temps; beaucoup de temps, pour trouver comment recommencer, avant de pouvoir recommencer.

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J’ai retrouvé sans peine l’endroit de nos haltes, tant il demeure inscrit au plus profond de ma mémoire. Je crois que je pourrais fermer les yeux et, sans même tâtonner, m’y diriger tout droit.

Raphaël Aubert, Sous les arbres et au bord du fleuve & autres récits. 2021.

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