La plage qu’on ne voit plus

Ensablée, je repars. La peau est écorchée par les tempêtes du désert, l’âme écartelée par les violences et l’œil fixé vers l’horizon. Des grains collent encore au visage de mon Ali, tombent sur mon épaule. Ali dort quand on prend la mer. De l’autre côté, là-bas, au loin l’île bombée d’espoir, l’Europe sûrement, au-delà des tankers. Derrière, des traces de pas, bientôt effacées. Je…j’ai…mon ventre…je porte cet enfant…L’azur, c’est tout droit. Tout ira mieux!
Nous arrivons, épuisés. L’autre côté, c’est là, à 100 mètres. Le sel ronge ma peau, plus écorchée et creusée qu’en Libye. Ali pleure, j’essaie de le protéger sous mes bras frêles. Les vagues frappent, violentes. Nous débarquons, à côté de gens sautant dans l’eau. Même des familles Des personnes nous donnent des vestes d’alu, nous raclent le nez, tendent de l’eau. Ils me prennent Ali. Il crie. Où va-t-il? Je m’enfonce dans le sable, plus lourd ici. Un regard derrière.
Je me réveille. Qui sont ces gens? Le Niger natal est loin, derrière le Sahara, la destruction du village aussi. J’y ai laissé ce qu’aurait dû être ma vie : un mariage forcé. J’y ai laissé plus grave encore…son père…je caresse mon ventre. Isolée au milieu de tentes froissées par les vents, seule et portant le fils d’un violeur inconnu.
Peu importe! Voir devant. Fixer le scintillement des grains de sable de la plage, vide à présent. D’autres traces laissées là. Je suis sur l’autre plage. Où est Ali? Comment accueilleront-ils mon second enfant sur cette rive? Ramal, sable en arabe, voilà son nom! Pour qu’il puisse voler vers ce qu’il veut.