Le mal du mâle

Lorsque l’équipe de La Chose Carrée m’a annoncé que ce numéro 8 porterait sur les masculinités, une myriade de pensées a fait son nid dans ma tête. C’est le deuxième paquet de mots que je livre à ce joli média indépendant et j’aimerais attraper ta curiosité. J’aimerais creuser les choses pour qu’ensemble, tout doucement, on remette en question certaines constructions sociales. Et puis, les mots peuvent être si puissants que je voudrais t’offrir les plus beaux. La beauté c’est comme un câlin. Et on a tous besoin de câlins, pas vrai ?

C’est justement après avoir fait un câlin à mon fils de presque 8 ans, avant son départ à l’école, que m’est venue l’inspiration pour cet article. J’aimerais tellement que, plus tard, il soit bien armé pour trouver sa place dans cette société qui se construit encore, à coups de manifestations et de petites révolutions. Faire évoluer les mentalités, ça prend du temps. J’ai pourtant bon espoir de pouvoir vivre dans un monde où le patriarcat ne soit plus la norme. Voilà, j’avais enfin trouvé un angle à développer pour cette chronique restée en jachère sur mon ordinateur : d’où vient la masculinité? quels sont ses codes ? À quelles injonctions les hommes sont-ils soumis tout au long de leurs vies ?

En 2020 encore, je constatais, entre autres au travers de certains spots publicitaires, que les canons de la beauté virile correspondaient toujours à un homme grand, svelte, musclé, poilu mais pas trop, sexuellement actif et puissant, bref le modèle herculéen. Je pense à cette marque qui a pris l’acteur Chris Hemsworth comme égérie pour promouvoir son dernier parfum. Voici le décor: On est dans les beaux quartiers de New York, Chris part faire son jogging matinal avant de revenir se préparer dans son luxueux appartement. Il enfile une chemise blanche et un costard sur son corps musclé. Il ouvre le tiroir de son immense dressing et choisit la montre qui habillera son poignet pour la journée. Gros plan sur son regard bleu azur, ses traits parfaits. Il répand enfin sur sa peau ce précieux parfum que l’on veut te vendre. Dernier coup d’œil sur l’immensité de Manhattan avant de te balancer la petite punchline élaborée par la marque : “What makes a man of today“ (ce qui fait l’homme d’aujourd’hui). 

Donc l’homme d’aujourd’hui est plein aux as, a un physique à faire pâlir Apollon, bosse en costard et se parfume avec un élixir a presque 100 balles les 100 ml ? 

[…] la petite punchline élaborée par la marque: “What makes a man of today“

Ce qui fait l’homme d’aujourd’hui. Donc l’homme d’aujourd’hui est plein aux as, a un physique à faire pâlir Apollon, bosse en costard et se parfume avec un élixir a presque 100 balles les 100 ml ?

Je me demande combien d’hommes d’aujourd’hui s’identifient à cette pub. Certains se diront simplement “je ne suis pas la cible” tandis que d’autres voudront tout faire pour y correspondre.

Mais la pub n’est pas là pour faire avancer le monde, elle ne fait que suivre des tendances. Alors bon sang, d’où vient cette représentation de l’homme, toujours fort comme un roc, qui domine tout ? D’après le livre de l’autrice et philosophe Olivia Gazalé, Le mythe de la virilité, un piège pour les deux sexes (paru en 2017 chez Robert Laffont éditions), le malaise que le sexe masculin peut ressentir aujourd’hui ne résulte pas tant de la révolution féministe récente, mais plutôt du piège que l’homme s’est tendu à lui-même il y a près de 3 millénaires:

Il y a 300 millions d’années, le monde a peu à peu basculé dans une ère tournée vers l’homme. Vinrent ensuite encourager cette supériorité, la mythologie, la philosophie, les religions monothéistes et le droit. Puis la médecine, la biologie, les arts,… tout a conspiré pour construire une idéologie de la supériorité du sexe masculin. En lisant cet extrait, je réalisais l’importance et le devoir de représenter, dans tous les domaines, le masculin sous toutes ses formes, au-delà de ses spécificités génitales.

Les injonctions à la virilité sont non seulement pénibles et épuisantes mais aussi discriminatoires. Et pour ceux qui ne possèdent pas cette puissance physique et sexuelle, cette force et ces muscles, cette fermeté morale, cette audace ? Le sentiment d’être un sous-homme n’est pas loin. Et le malaise masculin s’installe.

Donc, pas étonnant que vous perdiez vos repères les gars. Depuis des siècles, rien n’est fait pour vous mettre à l’aise. (Mais ça, c’était avant que La Chose Carrée n’existe !)

Pour comprendre plus en détail les origines des constructions de la masculinité, je t’invite à lire l’ouvrage cité plus haut. Tu peux aussi écouter le podcast de Victoire Tuaillon, “Les couilles sur table” (comme quoi, les contenus érudits ne sont pas incompatibles avec des titres audacieux!). Cette journaliste de 31 ans a décrypté les masculinités contemporaines en interviewant, sur 50 épisodes, une multitude de personnalités qui se sont penchées sur la construction des genres. Son podcast au 500’000 écoutes mensuelles, se décline aussi en livre. (Les couilles sur la table, Victoire Tuaillon, Binje Audio Éditions, 2019).

Avant d’être un homme, tu es un humain. Tu as le droit de pleurer, d’être vulnérable, de mettre une chemise rose ou bleue, de détester les voitures ou le foot autant que de les adorer. Tu mérites qu’on t’aime pour tes qualités humaines plus que pour ta force. Tu as le droit de montrer tes émotions aujourd’hui. C’est une extraordinaire émancipation.

Pour en revenir à l’éducation, tu sais que les enfants apprennent beaucoup par imitation. Malgré tout le cœur à l’ouvrage que je mets à ouvrir le champ des possibles de mon fils, je ne suis pas la seule qui contribue à sa construction. Un monde d’hommes libérés autour de lui, l’aidera beaucoup. Une société qui ne hiérarchise et n’étiquette pas les genres, m’aidera beaucoup.

Merci pour ton aide.

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J’ai retrouvé sans peine l’endroit de nos haltes, tant il demeure inscrit au plus profond de ma mémoire. Je crois que je pourrais fermer les yeux et, sans même tâtonner, m’y diriger tout droit.

Raphaël Aubert, Sous les arbres et au bord du fleuve & autres récits. 2021.

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