Des genres et au-delà

Oublions quelque peu la réalité, parfois dure j’en conviens, et plongeons-nous dans le temps et l’espace. Il était une fois un individu gracié par un don si noble qu’il était capable d’écrire des centaines de livres et ce, sur tous les sujets, allant de la Bible aux dinosaures en passant par les comètes, Shakespeare, l’Empire romain et même des nouvelles policières. Un individu d’une rareté inouïe qui a exploré tout ce dont l’esprit était capable d’envisager, et même au-delà. S’attelant à réfléchir au futur, il en est venu à le décrire précisément, repoussant les lois du génie toujours plus loin en imaginant avec cinquante ans d’avance des dizaines d’éléments qui constituent aujourd’hui notre quotidien. S’il s’est permis de penser le futur, il l’a également imaginé dans ses romans. D’abord en partant de ce qu’il connaissait, d’un futur proche peuplé de Robots répondant à trois lois spécifiques1, puis en étendant cela dans le temps et en réfléchissant à un univers globalisé dont les crises historiques seraient déterminées par la loi des grands nombres, à savoir celui des masses et des foules. Une vision familière du Big Data et du traçage de nos données qui orienterait ainsi nos décisions. Cela étant dit, il ne s’agit pas maintenant de s’étendre sur ce sujet mais de replonger dans cet univers créé par notre écrivain visionnaire. Dans cet univers justement, les individus sont multiples, et d’un nombre si grand qu’il est inutile d’essayer de le décrire ici. La galaxie est habitée par notre espèce et l’Histoire suit son cours avec ses batailles, ses renversements et ses luttes socio-économiques. En parallèle à tout cela, le savoir de l’Homme s’est fragmenté, les langues se sont raréfiées, et les cultures quelque peu unifiées sous l’emprise d’un Empire galactique dictant la marche à suivre. Même la connaissance de l’emplacement de la planète originelle, la Terre, semblait avoir étrangement disparu des encyclopédies. Des milliers d’années se sont ainsi écoulées entre les premiers exodes et les événements manipulés par des forces mystérieuses qui ont, visiblement, un plan en tête quant à l’avenir de l’humanité.

 1Les trois de la robotique sont les suivantes : 
1) Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger.
2) Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres entrent en contradiction avec la première loi.
3) Un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n’entre pas en contradiction avec la première ou la deuxième loi.
En jouant avec les problèmes inhérents à ce système, il en résulte des histoires explorant chaque situation problématique.

En jouant avec les problèmes inhérents à ce système, il en résulte des histoires explorant chaque situation problématique.

Durant cette longue période, l’Histoire a été jalonnée de moments importants dont la migration d’une partie des Terriennes vers d’autres mondes. Parmi ces premiers-ères colons à avoir quitté la Terre se trouvent les Solariens, de la planète Solaria. Les Solariens furent les derniers colons des cinquante premières colonies migrantes à découvrir une planète. Planète isolée, Solaria est d’abord pensée comme résidence secondaire avant de devenir une véritable expérience sociale. Chaque individu y habitant dispose ainsi de milliers de robots et d’un domaine de plusieurs hectares. Solaria s’est définie comme une anti-Terre où le nombre croissant de la population détériorerait la qualité de vie. De ce fait, cette nouvelle planète n’accueille à son firmament que 20’000 personnes. Un chiffre dérisoire pour une planète entière mais une volonté nette de disposer d’un espace pour chaque personne. Dans cette optique, la population s’est stabilisée dans un premier temps et les Solariens ne se rencontraient que pour avoir des relations sexuelles et des enfants, ceux-ci strictement régulés également. Une vie qu’on peine à imaginer après une période pandémique où les relations et contacts ont cruellement manqué.

Paule Couronne

Quoi qu’il en soit, après plusieurs années d’isolement volontaire, Solaria ne compta que 1200 individus. Vous noterez que dans ce texte, le mot « individu » a souvent été utilisé, à dessein en réalité. Ces 1200 personnes ne se définissent ainsi plus comme homme ou femme, ni comme humain. Elles ont acquis, par la science, des capacités mentales, physiques et biologiques particulières qui ne permettent plus de les ranger dans le genre humain. L’une de ces nouvelles conditions consiste à être devenu hermaphrodite et ainsi enfanter solitairement. L’enfant désigné comme unique personne capable d’hériter des terres, est ainsi élevé dans l’optique de prendre le relais du domaine et perdurer la tradition solarienne. Planète isolée, qui s’est coupée de l’humanité et de l’autre, Solaria devient ainsi la première terre d’une nouvelle espèce. Se considérant comme supérieurs aux autres êtres humains, les individus de Solaria éliminent quiconque poserait le pied sur leur sol, jusqu’au jour où trois aventurières à la recherche de la Terre y atterrissent.

L’une de ces personnes est membre d’une société où sa planète et ses habitantes ont, à l’inverse de Solaria, fusionné en une seule entité, partageant les pensées de chaque être, tout en gardant son individualité propre. Une forme de planète-personne en somme. Le tout sublimé par des capacités mentales fortes amenées, à terme, à être partagées par tout individu. S’extirpant tant bien que mal de Solaria à la suite de diverses actions, notre aventurière récupère un enfant solarien. Cet enfant, ni féminin, ni masculin, ni transgenre, ni humain, va pourtant être la clé de l’avenir de l’humanité, tant par sa forme biologique que par ses dispositions cérébrales.Dès lors, lorsqu’on se rend compte qu’un des plus grands esprits de notre temps, et certainement l’auteur le plus prolifique de l’histoire de l’humanité, distille une pensée claire sur la variation des identités du genre comme une forme indispensable à la progression de l’humanité, il convient de se demander pourquoi aujourd’hui, dans nos sociétés que l’on dit évoluées, il est difficile de respecter les genres et leurs apparitions. Peut-être que l’espèce humaine évoluera non pas uniquement grâce à deux genres mais par une multitude. Pourquoi alors en avoir peur ? Comme l’a si bien dit notre auteur, Isaac Asimov, “Tous les ennuis que nous vaut la vie moderne sont dus à ce qu’il y a de divorce entre la nature et nous.” Or, n’y a-t-il pas dans la nature des êtres hermaphrodites déjà ?

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J’ai retrouvé sans peine l’endroit de nos haltes, tant il demeure inscrit au plus profond de ma mémoire. Je crois que je pourrais fermer les yeux et, sans même tâtonner, m’y diriger tout droit.

Raphaël Aubert, Sous les arbres et au bord du fleuve & autres récits. 2021.

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