
Gangster.
Un souvenir lumineux s’épaissit en moi alors que j’effleure les pages du livre de Nicolai Engelbrecht, posé sur mon bureau. C’est drôle… Gangsters and Gurus est arrivé par la poste trois jours après que j’ai contacté son auteur pour demander l’entretien qui fait office de toile de fond à cet article. Et l’on peine encore à croire à la magie. Confort, immédiateté, réactivité, écran, habitudes… Avant de s’échapper vers ces prisons intangibles, ce texte à double voix revient sur le parcours de Nicolai et son expérience de professeur de méditation et respiration au sein même des prisons.
Porteur d’armes, vendeur de cocaïne, homme fermé aux émotions quoi qu’habité d’une profonde tristesse, habitué des relations «toxiques» et chercheur inarrêtable de la sensation d’exister à travers la prise de risques, l’abus de pouvoir et de substances. Il avait été tout cela (successivement ou à la fois) avant de rencontrer ses premiers maîtres et de s’engager corps et âme sur ce fameux «chemin spirituel». Ironie du sort ou humour divin? Après l’aventure extérieure, son épopée intérieure l’a mené aux quatre coins du monde afin d’enseigner le yoga à toute sorte d’individus, y compris des prisonniers-ères purgeant leurs peines.
Guru.
Des libérations surviennent donc au sein même des pénitenciers. Pourtant, ce ne sont pas grâce à leur gestion ou au système qui les fait perdurer. Non, il faut des programmes tel celui de la fondation Art of Living, sous l’égide de laquelle Nicolai a enseigné quelques années. Travailler avec des prisonniers-ères qui s’impliquent dans le processus est magnifique, car les transformations sont fulgurantes et les progrès manifestes. Ces personnes ont vécu des abus ou dans la dépendance, iels portent des traumas liés à leurs parents ou environnements depuis l’enfance. Je les aborde donc comme des enfants auxquels beaucoup d’amour, de compassion et de flexibilité sont nécessaires.
Mais à quoi, finalement, servent nos prisons? Elles sont bâties sur un modèle d’exclusion et de punition [à l’américaine dit-il], et mettent simplement hors de vue les problèmes. Pour moi, il s’agit d’une université du crime où les étudiantes apprennent à devenir de meilleures criminelles, grandissant leur réseau de contact ou échangeant des connaissances.
Les locataires des pénitenciers sont iels les seules à se voir «guidées vers le changement» par la punition, l’exclusion, le rationnement et la privation? Quel sort réserve-t-on aux enfants violents, inattentifs ou agités? Quelles réactions avons-nous envers nos amies ou partenaires de vie lorsque nous nous sentons trahies? Quels traitement nous réservons-nous à nous-mêmes lorsque nous agissons mal? Nous ne sommes peut-être pas enfermées, mais les principes sur lesquels sont bâties nos prisons semblent nous habiter, y compris une tendance à mettre hors de notre vue notre soumission à la toxicité des systèmes dans lesquels nous évoluons.
«Every saint has a path. Every sinner has a future.»
Peu importe le nom que portent nos prisons! Les volontaires du programme de l’Art of Living, tout comme Nicolai auparavant, se trouvent dans des extrêmes qu’une petite partie d’entre nous atteignent. Heureusement. Mais je ne connais personne qui soit complètement libre de ses chaînes. L’arrogance et la nourriture ont été mes plus grandes prisons. C’est tellement facile de croire à ce que raconte l’ego et se dire «Je suis cet incroyable entrepreneur/yogi/cet artiste génial…». Avoir confiance en soi, c’est savoir, tout simplement, que l’on est parfait comme on est. L’arrogance compare et calcule qui sont les pires, ou les meilleures. Elle nous place sur une échelle, et nous évalue «par rapport à».
Que ce soit clair: on peut très bien vivre en taule et n’avoir pas envie d’en sortir. En fait, c’est la conscience qui crée la prison, et c’est justement pour cela que la comparaison est inutile. Le même comportement peut me faire du mal et te faire du bien, la même habitude peut tuer ta spontanéité ou égayer la mienne. La souffrance vient de ce que nous ressentons comme un manque à combler – d’estime, d’argent, de beauté, d’activité… – et c’est cette déconnexion avec qui nous sommes qui nous pousse à nous comparer et à nous voir à travers le regard des autres.
Cet article ne sera pas un énième mode d’emploi sur «Comment sortir de nos schémas pour commencer à vivre» ni un pamphlet intitulé «Faites le choix du bonheur!». Le développement personnel à la sauce capitaliste me ronge et quoique nos chemins soient les mêmes, leurs reliefs et paysages n’ont rien de semblable. Mais je crois que, quel que soit le sens de cette expression pour chaque individu, nous aspirons toustes à la paix intérieure. Les trajectoires de Nicolai et des volontaires au Prison Program sont belles parce qu’elles nous rappellent que nous portons des révolutions en nous.
Mon interlocuteur désigne trois piliers sur lesquels s’appuie le mieux-être: Il nous faut une trinité. La science nous permet de comprendre ce qui arrive dans nos corps lorsqu’on stresse, fume, mange trop ou pas assez, les pratiques spirituelles comme le yoga, la respiration consciente etc. permettent d’évacuer les traumas et finalement la foi1 en quelque chose de plus grand que soi, qui nous offre d’être consciemment guidées plutôt que contrôlées. Et j’ajouterais qu’il nous faut nous regarder sincèrement et avec tout l’amour et la compassion dont nos «gourous» font preuve. Que c’est outillées d’une douce fermeté envers nous-mêmes que nous grandissons dans la direction d’encore plus d’amour, en et autour de nous.
PS: Non, tu n’es pas seule à faire ce travail. À faire des allers-retours entre progrès et dépendance, entre anxiété et joie. Tu n’es pas cassée non plus, c’est notre société qui a peur de la liberté.
1 Il est important de souligner que l’on ne parle pas forcément de foi religieuse. Il y a une confiance toute athée dans le principe encore inconnu qui rend la vie possible. Cela ne peut être catégorisé.